La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a condamné la France en 2020 et en 2023 pour dénoncer l'état désastreux des prisons françaises, dans lesquelles sont observées "des atteintes graves aux droits fondamentaux" des détenus [CEDH20][CEDH23]. Les conditions de détention sont aussi vivement critiquées par des institutions nationales, notamment la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté [Mon23].
Le taux moyen de surpopulation carcérale en France est mesuré autour de 115% depuis plusieurs décennies [Mon20]. C'est donc un problème structurel qu'on considère comme le symptôme d'un sous-financement cronique des centres de détention. Il est donc indispensable d'augmenter les financements récurrents de l'administration pénitentiaire pour améliorer les conditions de détention et les conditions de travail des personnels.
Cette proposition défend une augmentation importante de la part du budget annuel de l'État dédié au programme Administration pénitentiaire (PGM107). Elle sera financée par une légère diminution de l'énorme budget annuel dédié au programme Équipement des forces (PGM146), qui assure le financement de l'équipement militaire de l'Armée française.
Ces dispositions sont présentées dans la partie dispositions par article.
L'administration pénitentiaire est un service du ministère de la Justice. Elle gère les établissements pénitentiaires ainsi que les personnels qui y travaillent. Elle représente environ 41000 fonctionnaires et son budget annuel est de l'ordre de 3,3 milliards d'euros [VP]. Ce dernier correspond au programme 107 du budget général de l'État (PGM107).
La surpopulation carcérale en France est un problème structurel, comme l'indique notamment les statistiques de cette administration. On peut y constater que la moyenne de la densité carcérale sur toute la France, qui correspond au rapport du nombre de personnes détenues sur le nombre de places opérationnelles dans les prisons françaises, est de l'ordre de 115% depuis plus de trois décennies [Tableau 3, SSJ]. Ce qui correspond par exemple pour l'année 2022 à 8699 personnes détenues sans lit attribué. Cette situation semble toucher particulièrement les maisons d'arrêts, qui gèrent les personnes en attente de jugement et les détenus pour de courtes peines. En 2022, on y observe un taux de surpopulation carcérale moyen de 132,7% [Tableau 9, SSJ].
Le projet gouvernemental le plus récent pour gérer cette situation est le "plan 15000", qui a été annoncé en 2018 [PIP]. Il prévoit la construction de 15000 places supplémentaires dans les prisons française d'ici 2027, dont 7000 d'ici 2022. Ce dernier objectif est loin d'être atteint puisqu'on observe en 2022 moins de 1000 places supplémentaires par rapport à 2018 [Tableau 3, SSJ]. Sur le site de l'Agence publique pour l'immobilier de la Justice (APIJ), on compte environ 3000 places supplémentaires dans les projets pénitentiaires en cours de construction, qui seront livrés entre 2023 et 2027 [APIJ], dont moins de 1000 en maisons d'arrêts. On note que ce décompte est généreux, car la mise en service d'un nouvel établissement pénitentiaire peut s'accompagner de la fermeture d'établissements plus anciens, la création nette de places en prison est donc ici surévaluée. On constate donc que le plan 15000, qui devrait s'achever en 2027, ne suffira pas à résoudre le problème de la surpopulation carcérale. Un effort financier sur le long terme est à réaliser, alors qu'un projet de construction d'un établissement pénitentiaire peut s'étaler sur dix ans.
Le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach est une illustration concrète d'une réalisation récente de l'administration pénitentiaire. Il a été inauguré en 2021. Ce nouveau centre a une capacité de 520 places. Il s'est accompagné de la fermeture des maisons d'arrêt de Colmar et Mulhouse. Cette construction correspond donc finalement à une création nette de 123 places supplémentaires [Mul]. Le coût du projet est de 106M€ [Mul2]. Ce qui nous permet d'estimer grossièrement le coût d'une place supplémentaire en prison à 1M€.
La surpopulation carcérale en France pourrait être imputée à une trop grande sévérité du système judiciaire français. Cependant, si on compare le taux d'incarcération en France par rapport aux autres pays dans le monde [WPB], on constate qu'elle est placée dans la deuxième moitié du classement mondial, ce qui ne semble pas aller dans ce sens. Surtout, même dans le cas d'une diminution importante du nombre de détenus, dont il faudrait préciser le mécanisme, l'augmentation du budget alloué à l'administration pénitentiaire permettrait d'aller vers une détention moins punitive et plus humaine. En défendant une simple augmentation du budget de l'administration pénitentiaire, on prend donc une position simple et pragmatique, susceptible de rassembler un accord large des votants de la thématique, afin que les conditions de détention s'améliorent relativement rapidement, c'est-à-dire dans la décennie suivant l'adoption de la proposition. On laisse le soin à d'autres propositions, ou peut-être à une version ultérieure de celle-ci, de proposer des mécanismes de régulation carcérale permettant de diminuer le nombre de détenus. Cette dernière solution semble en effet être défendue par de nombreux acteurs du sujet [OIP], mais est probablement plus controversée, donc plus difficile à mettre en place rapidement.
La principale proposition de ce projet est d'imposer que dans les dix années suivant son adoption, les lois de finance maintiennent le budget du programme 107 suppérieur à 1,7% du budget général. Ce qui permettrait d'augmenter d'environ 60% le budget qui lui est dédié.
Son financement est assuré en maintenant, sur la même période, le budget du programme 146 inférieur à 4% du budget général. La justification du maintien de l'équilibre budgétaire est fournie en annexe. On rappelle que si un conflit armé important se déclenchait durant la période envisagée, il serait possible de financer des dépenses d'armement exceptionnelles par une proposition spéciale (proposition de constitution du projet Démocratie libre Sec. I.V.II).
Lorsque cette proposition sera adoptée, son texte de loi sera directement promulgué. Cette nouvelle loi imposera donc une contrainte sur les lois de finances qui seront promulguées après la date d'adoption de cette proposition.
Il n'est pas nécessaire d'associer à cette proposition un groupe exécutant, puisque son exécution consiste uniquement en la promulgation de son texte de loi.
On note que cette proposition ne contraint pas l'utilisation des ressources budgétaires qu'elle dégage. L'administration pénitentiaire est jugée compétente pour utiliser au mieux ces nouvelles ressources afin d'améliorer les conditions de détention dans ses établissements, afin de mettre en place des programmes alternatifs à la détention, ainsi que d'améliorer les conditions de travail de ses personnels.
[APIJ] Les opérations pénitentiaires en cours, APIJ
[Bud] budget.gouv.fr, Dépenses par ministère
[CEDH20] Communiqué de presse de la CEDH, affaire J.M.B. et autres c. France (2020)
[CEDH23] Communiqué de presse de la CEDH, affaire B.M. et autres c. France (2023)
[Mon20] Surpopulation, matelas au sol et crasse : la France condamnée par la justice européenne pour ses prisons, Le Monde (2020)
[Mon23] La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté alerte une nouvelle fois sur les conditions de détention déplorables, Le Monde (2023)
[Mul] Le centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach entre en service, Ministère de la Justice (2021)
[Mul2] Centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach, APIJ (2022)
[OIP] Surpopulation carcérale et conditions de détention indignes : la France à nouveau condamnée par la CEDH, Observatoire international des prisons (2023)
[PIP] Plan immobilier pénitentiaire : 15000 places, Ministère de la Justice (2018)
[SSJ] Séries statistiques des personnes placées sous main de justice : 1980-2022, Direction de l'administration pénitentiaire (2022)
[VP] Qu'est-ce que l'administration pénitentiaire ?, vie-publique.fr (2022)
[WPB] Highest to Lowest - Prison Population Rate, World Prison Brief
Le mécanisme de financement utilisé, de transfert de budgets entre programmes, est abordé dans la section II.II.III de la proposition de constitution du projet Démocratie libre.
Nous justifions dans cette section que les contraintes budgétaires défendues par cette proposition concernant les programmes 107 et 146 n'affecteront pas les autres programmes de l'État. Il nous faut donc argumenter que l'augmentation du budget attribué au programme 107 sera compensée par la diminution du budget attribué au programme 146. Pour ce faire, nous allons imaginer que les contraintes budgétaires défendues par cette proposition aient été mise en place 5 ans plus tôt, à partir de 2019, et allons évaluer les ressources dégagées et les charges supplémentaires induites, à partir des données budgétaires sur la période de 2019 à 2023.
Les données présentées dans les tableaux suivants proviennent du site officiel du budget de l'État [Bud]. Pour chaque année, on se réfère au projet de loi de finances (PLF), budget général, autorisation d'engagement (AE). Les chiffres sont arrondis à deux chiffres significatifs.
On se place dans un scénario sur la période 2019-2023, où le budget annuel du programme 146 Équipement des forces aurait été contraint à ne pas dépasser 4% du budget général, alors que le budget du programme 107 Administration pénitentiaire aurait été contraint à dépasser 1,7% du budget général. On évalue sur la période le total des ressources dégagées ainsi que les charges supplémentaires.
Dans le tableau suivant, les colonnes 2 et 3 présentent les chiffres officiels du budget de l'État par année, la 4e colonne correspond à 4% du budget général (BG) en milliards d'euros (Md€). La dernière colonne correspond à la différence entre la colonne 3 et la colonne 4, sauf dans le cas où cette différence est négative, dans ce cas on indique zéro, ce qui correspond à la situation où la limite des 4% du BG n'aurait pas été contraignante. Cette dernière colonne représente l'économie réalisée pour le budget général dans le cas où les dépenses sur ce programme auraient été plafonnées à 4% du BG sur la période.
On en conclut que 17Md€ auraient été dégagés sur la période (ce qui correspond à une baisse de 17% du budget alloué au programme 146).
Dans ce deuxième tableau, on calcule les charges supplémentaires qui auraient été imputées au programme 107 Administration pénitentiaire dans le cas où le budget alloué à ce programme aurait été nécessairement suppérieur à 1,7% du budget général, sur la même période.
On en conclut que 15Md€ auraient été dépensés sur la période (ce qui correspond à une augmentation de 60% du budget alloué au programme 107).
Les ressources dégagées, sur la période 2019-2023, par les contraintes budgétaires défendues par cette proposition auraient été de 17Md€, contre 15Md€ de charges supplémentaires. On en conclut que la stratégie de financement présentée par cette proposition maintient l'équilibre du budget général.